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1972 LE PASTEL MANIFESTE GALERIE DE L’UQUAM (R)

Monique Brunet-Weinmann, conservatrice invitée

Le pastel accompagne, depuis de nombreuses années, ma démarche en peinture. “Le dessin, cette peinture faite avec des moyens réduits” comme le disait Matisse, n’est pour moi ni une amorce, ni une esquisse à ma peinture mais recèle la même pulsion, la même implication et se définit par l’authenticité du propos. Il est à la fois un lieu de réflexion et de perception des éléments. Il procède des mêmes interrogations que la peinture. Comme pour la réalisation d’un tableau, je procède de l’intérieur vers l’extérieur.

La matière est pour moi quelque chose de mental. En dépit des résistances physiques qu’elle peut offrir. Je conçois le pastel, à l’instar de la peinture, comme une structure issue du sentiment de la couleur.

La couleur dans la couleur se fait sentir en tout point de l’organisation picturale. La lumière précise les dimensions des surfaces, des formes dans l’espace. Le contact direct avec la matière et le support procure au geste l’énergie émanant de l’élan vital, créateur. Et toute une gamme d’expressions telles que: douceur, volupté, subtilité, intimité, beauté.

Le langage du pastel s’apparente, pour moi, à celui de la musique de chambre plein d’investigation, de motivations et d’émotions existentielles.

 

1975 LA NATURE POETIQUE DE MICHEL MORIN (R)

Parce qu’il a repris contact avec la nature, le peintre Michel Morin s’est lancé dans une série de tableaux à l’acrylique qu’il a présen­tés à la Boutique Soleil pour une première con­frontation avec le public montréalais.

Dans ces grands formats où la spontanéité ne laisse presque plus rien au hasard, Michel Morin exprime dans une succession de visions instantanées la permanence de la nature en­core plus renforcée par un emploi jamais sur-chargé de verts, de bleus, de gris. de jaunes et d’oranges. Dans cette ouverture sur la nature, à travers un contexte très structuré dans sa base graphique l’ensemble de l’exposition dé­note un élargissement de la forme au profit d’une poésie plus pure, plus sereine même.

En effet si dans les toiles plus anciennes, on reconnaît volontiers une recherche où la forme dans un sens dramatique prend le pas sur l’esprit les œuvres plus récentes laissent oublier qu’elles ont été elles aussi l’objet d’une étude formelle pour ne nous livrer que son contenu poétique et vibratoire non plus enfermées dans des délimitations d’espaces parfois trop angoissantes.

Michel Morin, qui est spécialiste du tissu imprimé et du batik, surmonte bien le handi­cap qu’auraient pu lui imposer ces autres techniques: aussi faut-il lire ses tableaux qu’en fonction de leur mouvement et de leur langage poétique.

Jacques de ROUSSAN

N.D.L.R. — En octobre 1975. Michel Morin a présenté à la Galerie Hélène Appel. Rive droite, à Paris, une exposition intitulée Peintures et re­cherches graphiques.

 

1975 GALERIE HELENE PARIS (R)

Il est né à Montréal, et ses principales réalisations ont été faites au Canada.

Son oeuvre actuelle, qu’il présente pour la première fois à Paris, exprime la violence et l’immensité. Il s’en dégage une grandiose sensation d’es­pace.

Entendons-nous, la vio­lence dont il s’agit n’est pas de celle qui tue et saccage. Il faudrait parler de la violence profonde, celle de la vie qui grille irrésistiblement toute substance, pour y faire naître la forme nouvelle.

Et l’espace dont il se préoccupe, est un espace intérieur, celui de l’âme du pays nord-américain telle que lui la ressent.

Son génie associe vie amé­ricaine et culture française. Spontanéité, puissance, volonté d’organisation foison­nent dans une oeuvre qui d’autre part exprime la sensi­bilité et la mesure. La vie sim­ple y contraste avec le goût de l’aventure, partout la beauté de la nature est pré­sente, mais elle abrite un combat.

Une beauté première naît de ce conflit. (Jusqu’au 14 octobre, galerie Hélène Appel, 23, rue de Miromesnil, Paris 8°). Irène Ermant

ACTUALITÉS

Par une discipline obstinée qui canalise l’abondance de son inspiration, il se trouve placé parmi les peintres du Québec les mieux aptes à provoquer l’impression de verticalité, indispensable à la peinture murale. Il s’intéresse à l’intégration des formes picturales dans le style architectural de notre époque et ses exigences plastiques sont de manière claire, capables de s’adapter aux bâtiments publics.

Michel Morin ne cesse de tendre vers la peinture monumentale, celle qui est faite pour la clarté du jour. Il excelle par la plé-nitude expressive des lignes, rythmes, couleurs, sonorités; la simplicité des moyens employés nous montrent un artiste très à l’aise dans de vastes formats.

D’autre part, Michel Morin a travaillé pen-dant plusieurs années à des recherches techniques concernant la solidité des ma-tériaux et couleurs contemporaines. Il n’ignore pas le soin qu’apportaient les peintres d’autrefois à la façon d’accorder leur inspiration personnelle à des moyens techniques qui assurent la pérennité de l’oeuvre. (30 peintures – galerie Hélène Appel jusqu’au 14 octobre.)

 

MICHEL MORIN ET LA TRANSPARENCE DE L’ESPACE

Au commencement, non. Tout a déjà commencé au moment où l’on regarde une toile de Michel Morin. Tout a déjà commen­cé on ne sait quand, on ne sait en quel temps, ni en quel espace imaginaires. C’est pourquoi il n’est pas trop tard. Et alors l’on regarde projeté de plain-pied dans l’oeuvre offerte et immédiatement présente, vivante, mobile.

Morin s’y prend avec son public comme un écrivain ou comme un cinéaste qui, dès la première page ou la première séquence, plonge son lecteur ou son spectateur en pleine action, au milieu de personnages qu’on n’a pas pris la peine d’annoncer. Il y a des cas où les présentations sont parfois superflues.

C’est dire que les toiles de Morin, expo­sées le printemps dernier à la Galerie Wad­dington de Montréal, constituent essentiel­lement des parties d’espace et, mieux encore, des espaces d’espace. En effet, selon qu’on les regarde de gauche à droite (sens de la lecture latine) ou en sens inver­se, on a l’impression qu’il y a un avant et qu’il devrait y avoir un après, même, et sur­tout, s’ils sont imaginaires. La lecture peut s’effectuer de bas en haut (ou l’inverse, encore) et alors l’avant (cette sorte d’espa­ce imaginaire antérieur à ce qui est visible sur la toile) et l’après (l’espace qui devrait succéder à ce que l’on vient d’observer) seraient comme l’en dessus et l’en dessous des oeuvres de Morin, avec toutes les con­notations métaphysiques que l’on voudrait associer à ces considérations. Il y a donc quatre sens de lecture possibles des créa­tions récentes de Michel Morin: deux sens latéraux et deux sens verticaux.

Espèce d’espace

Il est bien évident et tout à fait entendu que l’artiste donne sa préférence à un es­pace privilégié: celui de sa toile. Son oeuvre provient d’un rien, d’un néant — la toile blanche, par exemple — que seule la volon­té du créateur parvient à combler; et, para­doxalement, elle se dégage d’un tout (mémoire, environnement), d’un ensemble donné a priori, l’espace, comme une fenêtre peut se détacher sur une façade. Ainsi, s’il s’agit bien d’une partie d’espace, elle en est aussi une espèce particulière. Espèce d’espace qui est espace d’espace: cela ressemble à une définition de la peinture. Et, justement, la démarche de Michel Morin est fondamentalement une démarche de peintre. Il n’explore que les deux dimen­sions de la toile. En somme, il propose une lecture d’un espace qui est un espace essentiellement pictural qui s’obstine à n’être et à ne demeurer qu’un espace à deux dimensions et à deux dimensions seulement.

Morin se risque d’abord au jeu de la fausse (ou plutôt de la feinte) continuité avec quelque espace antérieur à son espa­ce. ll fait comme s’il y avait un espace donné (et ordonné) et, en toute modestie, il le prolonge. Soit. On s’attendrait alors à découvrir ensuite un jeu avec la profondeur. Eh bien! non. On s’acharnerait en vain à tenter de percer ou de sonder quelque effet de perspective qui soit. On serait maigre­ment récompensé à analyser les effets de relief. Là n’est pas l’intérêt des composi­tions de Michel Morin. L’artiste a préféré tirer parti des ressources visuelles de sur­face. Il utilise à cette fin un artifice: la transparence. Sur ce point, la superposition de tons de la même famille de couleurs qui produit l’illusion de la transparence n’est pas due au hasard. Elle est au centre du travail de recherche et de création de Michel Morin.

Si celui-ci se contente de la surface (frontalité de l’espace), il s’efforce cepen­dant d’occuper toute la surface de la toile. Ainsi, ce qui est important, c’est le devant (le front) de l’espace, la surface qui est l’espace de la parole, de l’expression, de l’écriture. En ce sens, l’oeuvre de Michel Morin se présente en premier lieu comme un commentaire de l’espace pictural dans ce qu’il a de plus immédiat. Mais cette immédiateté est trompeuse: quelle réalité se cache derrière cette apparence pre­mière? C’est ce que visent à dégager les effets de transparence qui se révèlent comme des façons de percer les secrets de la surface.

Transparence et construction

Et la surface même, exprimée comme une interruption de l’espace, se définit à l’ima­ge, de cet espace si bien qu’il n’y a pas de surprise à la percevoir elle-même inter­rompue. Que signifieraient autrement ces agencements de lignes discontinues, de li­gnes non rectilignes, ces plans dans le plan où sont répartis des espaces privilégiés —sortes d’ouvertures ou de fenêtres — dans l’espace déjà privilégié de la toile? L’artiste montre (prouve?) qu’il n’y a rien sous les larges plages de couleur qu’il étend sur la toile, qu’il n’y a rien que seulement une autre plage de couleur, — et tout est dans ce seulement — celle-ci est pres­que identique à celle qui la recouvre: bleu sur bleu, brun sur ocre, gris sur bleu-gris, en une sorte de glissement plus qu’en une sorte de feuilleté. A la rupture des lignes et des surfaces correspond une rupture chro­matique. Ces écarts ou ces marges créent des différences d’énergie suffisantes pour libérer et justifier un mouvement latéral ou vertical, présent dans toutes les réalisa­tions de Michel Morin.

On ne s’évade de l’espace pictural défini par Morin, qu’en en sortant mais à con­dition aussi de suivre la direction (sinon le mouvement) suggérée par l’artiste. Dans les précédentes oeuvres de Morin, deux fortes colonnes verticales canalisaient de façon trop explicite un mouvement ascendant ou descendant. L’intervalle entre les colonnes servait à ménager des lucarnes de lumière ou de couleur. Cette fois, on ne retrouve ces modèles que dans trois pièces. Dans toutes les autres, seules des lignes fines et surtout discontinues et contrastées par rapport à la tonalité générale rappellent, avec plus de subtilité cependant, l’orientation amor­cée, il y a quelques années.

Quant aux plans qui animent les toiles, il s’agit de carrés et de rectangles déformés: ils ont été choisis de préférence à des figu­res circulaires, peu adaptées aux options du peintre. Rien de plus méthodique et de plus acharné que cette volonté d’occuper la surface, rien que la surface mais toute la surface, avec ces matériaux de base que sont les carrés et les rectangles intégrés dans tout un réseau de lignes brisées! Le paradoxe alors de ces oeuvres tient peut-être principalement à ce que d’une série de ruptures (lignes, surface, couleur) naisse une construction originale.

Une réponse de peintre

Cependant l’équilibre obtenu paraît fra­gile, ténu, incertain. On se prend à souhai­ter plus de force dans ces oeuvres dont on craint qu’elles ne s’évanouissent sous le regard. On a l’impression que Michel Morin, entièrement tourné vers l’édification d’un mode d’organisation de la surface picturale, mode d’organisation intéressante et riche de nuances et de virtualités, a oublié qu’il avait encore un rôle important à assumer. Séduit sans doute par la beauté plastique que ses jeux de surface et de transparences ne manquent pas de produire, il a peut-être craint d’intervenir. Mais, après tout, des règles, surtout quand on les élabore soi-même, sont faites pour être transgressées, non? Il fallait risquer de prendre plus de libertés avec elles. Peut-on reprocher à Michel Morin d’être demeuré trop sage? Oui, sans doute. Car, enfin, il manque à ces oeuvres un certain humour, une certaine fantaisie, quelques débordements au-delà du cadre choisi et soigneusement délimité pour faire contrepoids à l’austérité des acry­liques et des huiles, dont les plus grandes évitent de peu l’écueil de la fonction déco­rative.

Mais quoi qu’on dise, le langage, le style, la méthode de Michel Morin ont le grand mérite d’apporter une réponse de peintre à des problèmes de … peinture! Une répon­se si intéressante que d’autres artistes pour­raient en tirer profit. En effet, par son travail, Morin rejoint des préoccupations qui ont animé les automatistes, puis les plasticiens. Il renoue avec la problématique de la fron­talité (où Jean McEvien semble être allé le plus loin) et, surtout, il ouvre la voie à une série de propositions séduisantes qui res­tent encore à exploiter. C’est ce qu’il y a de plus prometteur dans la série de toiles pré­sentées à la Galerie Waddington. De ce point de vue, Michel Morin jette un pont entre les démarches fondamentalistes pro­pres à la peinture (acte de peindre, aplats, couleurs, etc.) et les écritures des concep­tuels (art génératif, néo-constructivisme, etc.). Et ce n’est pas le moindre de ses mérites.

Bernard LÉVY

 

1980 POEME EN PEINTURE MUSEE DE JOLIETTE (à revérifier)

La dernière exposition de Michel Morin était annoncée par un titre impressionnant: «Discours sur la naissance d’Héliogabale»1. Je me rappelais les vers sonores du Ver­laine parnassien:

«Tout enfant, j’allais rêvant Ko-Hinnor
Somptuosité persane et papale,
Héliogabale et Sardanapale!»2,

et l’immense chef-d’oeuvre peint par Dela­croix sur La Mort de Sardanapale, en me demandant ce que Michel Morin nous réser­vait avec la naissance d’Héliogabale. Pour­quoi ce titre? Il lui a été inspiré par une oeuvre d’Antonin Artaud intitulée Hélioga­bale ou l’anarchiste couronné, lue récem­ment, qui s’est imposée à lui par l’actualité de ses implications sociales, et aussi parce qu’il visualisait le texte, le lisait en images. Des extraits, affichés dans le musée, expli­citaient bien ce Discours, fondé essentielle­ment sur la symbolique des couleurs déve­loppée dans une série de huit toiles qui constituait la partie la plus intéressante de l’exposition, bien mise en valeur par l’ac­crochage. D’un format absolument identi­que (1 m 73 sur 1,29) rectangulaire verti­calement, et utilisant toutes le crayon sur peinture acrylique, les toiles étaient dispo­sées sur un même mur à l’exception de la première, proches l’une de l’autre, ce qui permettait au regard de suivre la progres­sion linéaire du discours, tout en pouvant s’arrêter sur une oeuvre, l’isoler dans son champ de vision, sans être gêné par les voisines. Le passage apparaît subtil de l’une à l’autre, et il y a incontestablement continuité.

Ii s’agit de retracer «le processus de transmutation de la matière en quatre pha-­ses auxquelles correspondent quatre cou­leurs: le noir, le blanc, le jaune, le rouge»3selon l’espèce d’alchimie imaginée par Artaud, qui rejoint d’ailleurs une symboli­que plus universelle. La première toile re­présente le chaos originel qui porte en soi tous les possibles mais irréalisés, comme la putréfaction hivernale favorise la germi­nation. Sur un fond gris anthracite, deux taches informes noires cernées de dégou­linades plus claires symbolisent la dualité des éléments mâle et femelle avant leur fusion dans l’être androgyne qu’est Hélio­gabale. Partant de là, le processus créateur se met en marche. Le gris s’éclaircit. Les deux formes initiales se lient, pénétrées de blanc, de rouge, selon un graphisme ges­tuel exercé directement avec le tube de couleur qui fait penser à la fois à Riopelle et à Georges Mathieu. Les couleurs se mê­lent directement sur la toile en épaisseur, en reliefs de matière propres à évoquer lamatière originelle. On remarque la trace discrète de deux formes géométriques à connotations sexuelles: le cercle dans le triangle.

Puis, on arrive à trois tableaux qui sont ceux que j’ai préférés, d’une grande déli­catesse de teintes et de texture soyeuse qui, avec des moyens réduits, rendent bien la gestation à laquelle s’attache Artaud. Le gris perle, lumineux, opère la fusion des deux formes dans le blanc spermatique et lunaire, masculin et féminin, pénétré d’un rosé qui prolonge le graphisme rouge du précédent et annonce la dominante san­glante d’une toile ultérieure. Des dripures blanches et le crayonnage noir rythment la surface. Enfin, le blanc s’impose où l’on devine une clarté rose, beau comme matiè­re, légèrement marbré de gris. À cette affir­mation en blanc majeur qui, s’oppose au noir absolu correspond un changement de structure. En effet, toute la série repose sur une structure rectangulaire, chaque toile étant plus ou moins divisée en six parties par des lignes tracées au crayon, deux parallèles aux bords verticaux du cadre, une horizontale à peu près médiane. Or, dans ce tableau central blanc, la composi­tion rectangulaire s’efface par inclinaison des lignes structurantes pour devenir trian­gulaire, pointe en bas: affirmation de l’élé­ment féminin, lunaire. Retour au gris, mais complètement différent, gris vert, gris jaune. Morin utilise là une matière étonnante, sorte de gelée transparente dorée, lumi­neuse, avec laquelle il réintroduit le gestuel. De même, des hachures au crayon redon­nent place au rouge.

«Le passage au jaune représente une phase transitoire entre le blanc et le rouge». jaune moutarde ici, sans transparence, mat et uni. La matière, après s’être comme diluée dans le blanc, s’y ramasse au centre en une boule.unique. «Le jaune représente un état de non-maturation, d’altération de la matière qui n’est pas parvenue jusqu’à la virilité solaire»4, laquelle par contre se déploie dans le rouge flamboyant, sang de la naissance et des sacrifices. Deux couples de dégoulinades parallèles soulignent le retour au cadrage central. L’aboutissement est violet, d’un violet pourpre, pour corres­pondre au texte: «La matière … sera d’une couleur rouge si foncée qu’elle paraîtra noire»5. Ainsi, le cercle est bouclé, mais il ne s’agit pas d’un retour au point d’ori­gine car ce presque noir est riche de toute l’évolution implicite.

L’autre partie de l’exposition comportait des toiles de très grand format carré (2 m 44 de côté), dont les titres s’inspirent toujoursd’Héliogabale, mais qui, plastiquement, sont antérieures (sauf Junia Soemia) à la série que nous venons de voir et s’inscrivent dans la continuation des recherches au pastel faites à l’automne6. Dans cette veine, Oracle hydromatique, au mur de l’au­ditorium, était somptueux. Des formes géo­métriques très colorées, très nettement en­châssées d’une première période, il ne de­meure plus qu’un rectangle ténu griffonné au crayon, comme une fenêtre qui suggère l’espace, le creuse. Mais cette esquisse de forme tend de plus en plus à disparaître,absorbée par les teintes pastel du fond et par ses transparences mauves, bleues, ro­ses. pour donner une impression cosmique de vide et de solitude. Par contre, les em­boîtements formels étaient encore expli­cites dans les fusains sur papier’.

  1. Au Musée d’Art de Joliette, du 17 février au 30 mars 1980.
  2. Résignation, dans les Poèmes Saturniens.
  3. Artaud, Obliques, 10-11, p. 238.
  4. Ibid.
  5. Ibid, p. 239.
  6. Ces toiles font l’objet d’une exposition, à Toronto cet automne.
  7. Texte revu et complété de l’émission Bon Diman­che du 23 mars 1980, C.F.T.M. TV.

Monique BRUNET-WEINMANN

 

1997 Le groupe Penta et la couleur comme dimension, signe, texture, atmosphère, monde

Volume 41, numéro 169, Hiver 1997–1998

 

 

PEINTRE DE L’ESPACE

Art actuel

PEINTRE-DE-L'ESPACEL’oeuvre de Michel Morin est le reflet d’une re­cherche quotidienne à partir d’un ton fondamental originel. Ce ton est en harmonie avec le cosmos, et dans chacune de ses toiles s’inscrit un paysage aux nu­ances différentes et subtiles. Morin traduit une vision intérieure, longuement élaborée et méditée, «Je me sens assez près de la philosophie zen. De même que l’archer se projette dans la flèche, je passe à travers tout ce qui est physique pour me projeter sur la toile.»

A travers d’innombrables couleurs, la toile s’élabo­re sous l’oeil attentif de son créateur pour devenir sa propre création. Suites ininterrompues où l’artiste fait son choix. Le tableau dominateur est l’aboutisse­ment d’une série de toiles qui ont été prétextes au mouvement final.

«La Vérité est dans l’intérieur, la forme à l’exté­rieur», écrivait plusieurs millénaires avant nous Con­fucius, appliquant cette réflexion au domaine des nom­bres. Or, nous ne pouvons percevoir le langage de la peinture qu’à travers notre histoire; ainsi en est-il des tableaux de Morin. Un regard posé sur le tableau nous apprend quelque chose sur nous-mêmes en tant que nous y pénétrons. «C’est par le travail que notre langage se forme. Il est essentiel que je trouve mon rythme et que je l’explore et non un langage qui aurait pu m’être imposé.»

Pour cet artiste, il est essentiel de se situer à l’inté­rieur de l’objet et de la nature environnante. Car nul ne perçoit son environnement à la façon des autres. Chaque couleur correspond à une vibration person­nelle. La percevoir et l’exprimer, c’est entrer en con­tact intime avec l’univers et s’ouvrir aux cycles de la nature, «Je choisis une couleur qui correspond à mon état intérieur. Celle-ci sera le point de départ de mon tableau. Ce dernier se développe alors progressive­ment. Je me sens guidé par une force intérieure où je contrôle chaque mouvement.»

PEINTRE-DE-L'ESPACE2Grands espaces où les noirs, les gris et les blancs se correspondent, se fondent les uns dans les autres et prennent leur signification, manifestation d’une har­monie universelle, où nous ressentons l’équilibre d’une oeuvre. Paysages s’épanouissant dans des demi-teintes que l’oeil se surprend continuellement à découvrir sous des angles différents. Lumière jaillissant d’une nature intime et grandiose. «Certes la nature est source d’inspi­ration. Actuellement, l’homme la détruit, et la terre fi­nira par se retourner contre celui qui impose un chemi­nement néfaste à une évolution équilibrée. Il est urgent que des êtres sensibles à cette situation trouvent une so­lution pour améliorer cet état de fait. J’ai choisi de pein­dre. Et sans doute pour cette raison, je me sens plus à l’aise dans de grands formats ou ma perception inté­rieure de la nature s’exprime plus librement.»

Peindre est une aventure difficile, et Morin doit quotidiennement assumer son choix; «Tous les jours, je poursuis. Mais j’ai aussi le droit de vivre en accord avec ce choix. Or, nous sommes sans cesse confrontés au jeu d’un système où l’artiste devient valeur com­merciale. Comment concilier ces contradictions? En­treprendre deux métiers à la fois, je n’y crois pas; pour moi, c’est impensable. Que faire? Sommes-nous sans cesse appelés à être partagés entre notre gagne-pain et notre création?». Questions qui demeurent depuis si longtemps sans réponse, Un jour, peut-être, se for­mera cette communauté – que tant espèrent — où l’art s’intégrera au quotidien de chacun.

Au cours de sa carrière, Morin a touché un peu à toutes les disciplines artistiques, et sa recherche pro-cède de plusieurs démarches. De 1965 â 1970, il tra­vaille occasionnellement au laboratoire Ciba à diffé­rentes techniques d’impression sur tissus. Il effectue aussi, durant cette période, des recherches sur la céra­mique aux ateliers de North Hatley et travaille en collaboration avec le potier américain Kent Benson.Des expositions, tant personnelles que de groupe, té­moignent de ces recherches où le peintre trouve peu à peu sa réalité. De 1970 à 1976, réalisation de sérigra­phies, d’acryliques, d’encres, de gouaches qui le con­duisent à une exposition particulière à Paris, à une exposition conjointe avec des peintres canadiens et avignonnais et, pour conclure, à cette récente exposi­tion personnelle à Montréal, où l’expression du pein­tre s’affirme dans toute sa maturité.

(Devant mon oeuvre, je me recueille. Rituel quo­tidien où je retrouve toujours mon rythme. Je médite jusqu’à ceque je me sente prêt. Je concentre mes éner­gies: le tableau nait.

Lente préparation où la toile tissée dans le cerveau s’exécute spontanément. Langage qui se forme et se crée toujours neuf parce qu’ouvert à des dimensions spatiales. Moyen de communication directe et émou-vant. Projection d’ondes sur des champs magnétiques qui s’étendent à l’infini, puisque tout ce qui vit est mouvement d’un champ de conscience à peine exploré.

Dans unesérie de dessins, Morin, jouant avec les couleurs, fait appel à la symbolique du cercle que nousretrouvons, structuré, s’apparentant à la figuration du yin-yang, éléments d’un ensemble que nous ne pou­vons pas isoler, aspects complémentaires del’Univers,Harmonie, rythme, Morin nous transmet une dimen­sion exacte de l’espace-temps, aucune partie du dessin ne peut être dissociée de l’autre. Il s’agit ici d’une forme d’expression différente des tableaux qui permet de nous confronter à des aspects, opposés en apparen­ce à la toile, mais peut-être créés comme prélude aux grands espaces, origine de la réflexion de l’artiste. L’importance des dessins est primordiale dans l’évolu­tion de l’oeuvre de Morin, et, s’il tend à réaliser une architecture de grands formats, nous devons d’abord entrer en contact avec eux et vivre l’émotion lumineuse quis’en dégage: vibrations intenses des quatre saisons de l’être, de l’angoisse à la joie, quête d’un Graal toujours présent en chacun de nous.

Ses toiles s‘apparentent aux courants de l’histoire de la peinture de l’humanité quand le peintre demeure pionnier de terres dont l’exploration se renouvelle.Constamment, Morin tire de sa perception la substance de sa toile, qu’il réalise au-delà des apparences exter­nes. Il provoque ainsi des associations qui enrichissent chaque élément de son tableau en apportant un sens nouveau transmis par une concentration de chaque instant.

 

PEINTURE ET PAYSAGE INTERIEUR

“Le but de l’art est de figurer le sens caché des choses et non point leur apparence; car, dans cette vérité profonde est leur vraie réalité qui n’apparaît pas dans leur contour extérieur”. – Aristote

Si, depuis que l’art existe, les hom­mes ont utilisé le monde extérieur pour s’exprimer, c’est qu’à l’origine, ils ne s’en jugeaient pas séparés, qu’ils ne le distinguaient pas de leur monde inté­rieur et qu’ils reconnaissaient son visage comme leur propre visage: en face de lui, ils ne se sentaient ni maîtres, ni esclaves, ni parents, ni étrangers; ils étaient lui, indissoluble­ment mêlés.

Ce n’est pas aventurer un paradoxe que de dire que la peinture abstraite nous a révélé une nature d’une réalité bouleversante. La nature comme é­nergie universelle, qui ne possède pas telle forme mais est capable de revêtir une quantité infinie de formes, puis­qu’elle est elle-même infinie.

Aller au-delà du phénomène, rejoin­dre l’essence, embrasser dans leurs insaisissables mutations les éléments, ausculter le coeur profond des choses, écouter la respiration de la pierre, palper le tremblement de l’arbre sous sa carapace d’écorce, devenir de la même nature que la nature et l’éprou­ver, telle est la vocation actuelle de l’artiste.

Ainsi la peinture se rapproche-t-elle de plus en plus de la nature, de l’âme de la matière non pas de son épiderme. Le tableau ne correspond plus à un morceau du visible, mais à une prise de possession de la force originelle qui meut l’univers et qui est véritablement la nature.

Cette communion intime du peintre avec la nature est vitale et voici ce que Jean Bazaine cite à ce sujet dans ses “Notes sur la peinture”. “Dessiner d’après nature n’est pas un travail de documentation, et le dessin, une fois incorporé, peu importe si le peintre l’oublie. Le meilleur de cet exercice est qu’il donne le vertige, tant cette nature à notre ressemblance échappe un peu plus chaque jour aux tentatives pour la circonscrire, tant l’abîme se fait plus mystérieux, plus indéchiffrable à cha­que plongée. Le peintre ne pourra retrouver le vrai sens du tableau qu’en ne refusant pas cette mêlée confuse, si impure et contradictoire qu’elle lui paraisse. Il apprendra ainsi à travers les milles facettes d’une structure qui le fuit, le sens profond du tableau, et que le squelette se porte à l’intérieur”.

Le tableau ne contiendra plus une portion d’espace et une portion de temps, comme dans l’art figuratif, mais la perception de la nature dans son infini et dans son absolu.

Le peintre non-figuratif appréhende directement, immédiatement, l’immen­se rassemblement des forces et leur donne cette force même qu’elles ont prise en lui.

Pour chaque peintre la nature est ce qu’il est lui-même. Les choses ne se révèlent en effet, qu’à celui qui est déjà les choses, car il n’est de connaissan­ce que de l’intérieur. Il n’est donc pas question de renier comme certains l’ont fait, le monde extérieur. C’est de lui que nous tirons notre existence et notre réalité. Le condamner, c’est nous condamner à n’être plus rien du tout. Mais le monde extérieur peut être aussi bien notre prison que le domaine immense et toujours nouveau de notre liberté.

Dans ses tableaux, l’artiste ne re­tiendra pas la forme personnelle des objets, mais cherchera les corres­pondances et rapports qui les asso­cient, enfin, les rythmes qui les unis­sent les uns aux autres.

Cézanne dit: “Unir des courbes de femmes à des épaules de collines”.

Qu’importe si, dans ces paysages intérieurs on ne connaît plus un paysa­ge extérieur. Un tableau nous oblige à laisser de côté les distinctions d’usage de sujet et d’objet, de forme et d’esprit. C’est là que le peintre a donné de nouveaux visages à la nature, et il se rend compte que ce sont ses plus vrais visages.

La grandeur de l’oeuvre du peintre, sa puissante force d’émotion, son rayonnement, sont les résultats de cette identification de l’artiste et de la nature, selon une méthode d’associa­tion intuitive et instinctive, comparable à la technique spirituelle des peintres chinois et japonais, qui savaient bien, déjà qu’on ne peint que ce que l’on est, qu’on ne voit que ce que l’on contient déjà.

Michel Morin, professeur à temps partiel, a  exposé ses oeuvres au Canada et à l’étranger.